LE MOT DU PRESIDENT
Docteur Vincent STOFFEL
Bulletin 4
Tout d’abord, je tiens à te remercier pour
le beau geste dont tu as fait bénéficier le PHANS à l’occasion
de ton demi-siècle (1).
Hier, dans l’avion, j’ai beaucoup pensé à ce que
tu m’as dit en me remettant les dons de ta famille et de tes amis : "C’est
un début : la prochaine fois, je
tiendrai avec vous là-bas !".
Cette phrase me revenait comme un leitmotiv alors que nous survolions le Sahara.
Le nez collé au hublot, les yeux éblouis par cette lumière
intense rebondissant sur le sable du désert, je scrutais cette immensité tachetée
par les ombres mouvantes des nuages en contrebas en songeant à ce "là-bas".
Le PHANS, depuis plusieurs missions déjà, a joué le rôle
de passeur d’aventures pour des femmes et des hommes qui ont découvert
l’Afrique loin des complexes touristiques modernes : ce "là-bas" exige
l’oubli momentané d’un certain matérialisme. Théodore
Monod n’a-t-il pas écrit dans" Maxence au désert" : "L’Afrique
ne veut point pour amants des délicats et des douillets : il y faut
le mépris des biens terrestres et l’amour de la vie primitive
et un grand dégoût de tout l’artificiel d’une civilisation
trop compliquée …" ?
Jean-François, tu connais l’action de développement médical
du PHANS en Afrique à travers nos conférences. Aujourd’hui,
je souhaiterais te décrire non l’aventure médicale mais
l’aventure humaine d’une mission en Afrique. Ne crains rien, cette
description s’arrêtera à l’entrée de la sous-préfecture
rurale où nous
intervenons, sous-préfecture que tu découvriras un jour par toi-même.
Un seul indice sur cette brousse africaine : ci-joint la photographie du roi
d’Illikimou, roi Yoruba (mais Benoît et Frédéric
t’apporteront plus loin des données ethnographiques sur les Yorubas).
A moins de sept heures de Paris, l’avion atteint le tarmac de l’aéroport
de Cotonou dans la nuit africaine (Michèle D. t’y emmènera…) à 19h45
(à cette latitude, le soleil, invariablement, se lève à 7h00
et se couche à19h00). A peine sur la passerelle, la matrice africaine
engloutit les passagers dans les miasmes de sa terre humide et des fragrances
inconnues, la moiteur des vapeurs océanes, la sac et du ressac de la
barre s’épuisant sur une proche plage. Très vite, les formalités
d’immigration sur le territoire : police, service sanitaire (fièvre
jaune oblige) puis, moins vite : la douane où le fonctionnaire enfin,
au vu de notre ordre de mission, appose des signes cabalistiques à la
craie sur nos bagages et nous donne congé par un "Merci pour mes
frères" en gratifiant notre attente par un large sourire. Croulant
sous nos sacs, escortés par des porteurs trop diligents, nous sommes
vomis par une marée humaine dans l’unique hall de l’aéroport
et là, assommés de fatigue, nous cherchons dans la foule cosmopolite
le visage ami. Après l’émotion non feinte des retrouvailles,
notre ami nous emmène dans son véhicule et nous traversons, en
empruntant une quasi-autoroute dès la sortie de l’aéroport,
l’impressionnant Cotonou des ministères, des ambassades, des hôtels
de luxe et de l’incontournable CNHU (Centre National Hospitalo-Universitaire)
pour arriver au centre de la capitale économique du Bénin où les
nombreux pères Noël en plastique et autres sapins artificiels)
nous rappellent que Noël a été, ici aussi, chaleureusement
fêté. Passés la cathédrale Notre-Dame et l’ancien
pont (datant des colons), nous abordons le quartier est de Cotonou, lieu de
notre résidence de transit. Cotonou s’étale le long du
bord de mer, coincé entre l’immense lac Nokoué au nord
et le golfe du Bénin au sud. Ce lac communique avec la mer par un bras
d’eau, appelélagune de Cotonou, découpant Cotonou en une
partie ouest et une partie est. Seuls deux ponts (d’une largeur de quelques
dix mètres pour le plus grand) relient les deux Cotonou. Une agitation
indescriptible règne de jour sur ces ponts, traits d’union d’une
ville comptant 500 000 habitants. Cette zone est, ouverture vers la capitale
Porto Novo, permet le lendemain de notre arrivée des flâneries à pied
loin des encombrements de l’hypercentre. Par exemple, l’hôtel
Aledjo (ou PLM) s’étend sur plusieurs hectares de jardins jaunis
par le soleil. Cet hôtel, initialement construit pour y accueillir (jusqu’en
1989) les hauts dignitaires des pays grands-frères marxistes-léninistes,
est actuellement presque à l’abandon, concurrencé par les
chaînes internationales de la zone aéroportuaire. Il conserve
le charme suranné et désuet de ce qui est passé de mode.
Une palissade de otelets en béton armé, "gâtés" par
les agressions conjuguées du temps et des intempéries, permet, à partir
de la plage, d’accéder au parc de l’hôtel où un
propice bar invite à la dégustation d’une Béninoise
frappée (2), le regard perdu dans l’océan à portée
de main. Quelque temps plus tard, sur cette même plage, un Chrétien
Céleste (3) en transes, tout de blanc vêtu, les reins ceints par
une étoffe rouge, prie les bras levés vers le ciel. Les promeneurs
africains le croisent, indifférents à ses invocations. Une longue
virée à l’arrière d’un zem (4) nous mène
de la plage vers le Stade de l’Amitié (construit par les Chinois).
Après avoir raversé le nouveau pont, le Dantokpa (5) attire notre
curiosité. Sur plusieurs étages, des volumes impressionnants
de marchandises changent de mains en quelques minutes. Les mamies Benz (6)
, venues du Togo voisin, ont la main mise sur une partie des transactions,
en particulier le négoce de tissu. Une masse monétaire conséquente
circule dans cet édifice et l’on s’y appauvrit aussi vite
que l’on s’y enrichit : un médecin veille, les jours de
marché, dans son cabinet situédans une aile peu commerçante
d’un étage du Dantokpa. Plus loin, le marché de l’artisanat,
destiné aux rares touristes, contraste avec la cohue du Dantokpa. La
place de l’Etoile Rouge, avec son étoile rouge gigantesque et
pérenne, est un clin d’œil au monde communiste d’avant
la chute du mur. Mon chauffeur slalome entre les véhicules débouchant
de partout à la fois et me mène à cette immense, étonnante
et anachronique pagode chinoise située en plein continent africain :
le Stade de l’Amitié. Mais déjà, il faut rentrer
car dans une demi-heure la nuit va tomber et Cotonou deviendra un immense marchéde
Noël éclairé par les lampes à pétrole des échoppes
de tous les commerçants ambulants. Dans un crissement de pneu, le zem
s’arrêteàquelques décimètres d’un policier
en armes (AK 477 (7) en bandoulière) faisant passer quelques écoliers
retardataires vêtus d’uniformes… kaki. Double clin d’œil à l’ex-bloc
soviétique… Me voici à bon port… et sans encombres.
Quelques prétentions à la hausse de la part du propriétaire
du zem qui espère un supplément pour les nombreuses et habituelles
raisons invoquées : attente imprévue devant le marché de
l’artisanat, longueur de la course, immobilisation du zem par un seul
client… Tièdes négociations de ma part pour une double
raison : je suis sorti indemne de ce périple de motocross (ainsi j’ai
beaucoup de respect pour mon ange gardien de chauffeur qui avait ma vie, en
plus du guidon, entre ses mains toute une après-midi) et il faut se
coucher tôt car demain, après le Ministère de la Santé Publique,
on met le cap sur la brousse et la mission commence. Jean-François,
reçois ici toute mon amitié et n’oublie surtout pas d’embrasser
ta charmante épouse et tes enfants. Je te demanderai également
de souhaiter une bonne année à tous les sympathisants du PHANS
et de les remercier pour leur générosité bien utile à notre
action en Afrique.
" Je vois l’Afrique multiple et une,
verticale dans la tumultueuse péripétie
avec ses bourrelets, ses nodules,
un peu à part, mais à portée du siècle,
comme un cœur de réserve. "
Aimé Césaire
(1) Jean-François, un ami médecin,
a invité
lors de ses 50 ans sa famille et ses amis à
un somptueux dîner. A cette occasion, il
leur a demandé de faire un don au PHANS
plutôt que de lui offrir un cadeau.
(2) Il s’agit d’une bière
appelée
" Béninoise", distribuée par la
SOBEBRA (SOciété BEninoise de
BRAsserie), bue glacée donc frappée.
(3) Christianisme Céleste : courant
religieux très répandu au Bénin
(4) Moto-taxi du cru
(5) Marché national construit en dur
(6) Plantureuses et riches commerçantes
togolaises se déplaçant en
Mercedes-Benz
(7) Fusil d’assaut Kalachnikov ayant
équipé les armées de l’ex-pacte de
Varsovie
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