UN NOTABLE RURAL AU BENIN : ACHILLE DEGHINON DIRECTEUR
D’ECOLE
Docteur Benoît BARTHELME
Bulletin 1
Achille Deghinon, est directeur d’école à Dogba, village
de cultivateurs-pêcheurs au bord du fleuve Ouémé au Bénin.
Il a dans son école 140 élèves. Il est aidé par
un maître auxiliaire qui a été embauché par l’association
des parents d’élèves du village. Comme il est "lettré",
qu’il parle la langue vernaculaire des béninois, le fon, mais
qu’il sait lire et écrire le français, il fait partie des
notables du village et préside le CO.GE.C., COmité de GEstion
du Centre de Santé. Ce centre de santé a été créé à l’initiative
des villageois eux-mêmes en 1993. Ce sont eux qui ont construit le centre
de consultations en banco, terre malaxée avec un mélange de paille
et séchée selon la méthode africaine traditionnelle. Ce
bâtiment n’a bien sûr, comme toutes les autres maisons du
village, ni électricité, ni eau courante, ni toilettes. Mais
il existe et fonctionne avec un aide-soignant qui examine, prescrit puis soigne
tous les maux courants des villageois.
Achille est un personnage sympathique, la trentaine, un air malicieux, l'œil
vif et un rire communicatif. Ses responsabilités et son statut de notable
lui font rencontrer l’ensemble des personnages importants : le maire élu
de la commune, les différents chefs traditionnels de chaque village,
les membres des différentes associations qui tissent un réseau
de liens complexes dans la société africaine rurale traditionnelle.
Les réunions qu’ils entraînent sont l’occasion de
palabres interminables. Elles sont présidées par le plus ancien
ou le plus respecté des participants. Chacun écoute religieusement
avant d’émettre son avis, on n’interrompt pas l’orateur.
Les vérités sont dites, argumentées, précisées
avec patience et conviction. Les décisions sont chacune soigneusement
négociées jusqu’à obtenir un consensus dans l’assemblée.
La réunion se termine par une "béninoise frappée",
bière locale que l’on est allé acheter au seul villageois
propriétaire d’un frigo à pétrole.
Achille est chrétien, comme 80 % des béninois, mais il adhère
aux rites vaudous, la religion animiste traditionnelle du pays et sait à merveille
en expliquer les bases, les tabous ou les interdits, les totems familiaux.
Il connaît la figuration des ancêtres sous forme de fétiches,
les "asányi" qui sont toujours consultés pour prendre
les grandes décisions. Surtout, il dispose d’un "cahier noir" où il
inscrit les recettes magiques pour faire le bien et le mal mais les recettes
ne doivent servir que pour faire le bien ou pour se défendre d’un
sort. Voici quelques titres des recettes inscrites dans ce "cahier noir" :
recette pour éviter les dangers, recette pour contrer les gris-gris,
recette pour punir la femme qui commet l’adultère ou l’homme
responsable d’adultère. Voici une recette "contre ennemi" :
il faut du bois sec, du maïs grillé, des haricots grillés,
creuser neuf trous, mettre dans chaque trou du maïs et des haricots grillés,
mettre dessus un "so", bout de papier sur lequel est inscrit le nom
de l’ennemi.
Tous les jours où il y a école, Achille descend à la rivière,
hèle un piroguier pour la traverser et se rendre à son école.
L’école est composée de deux bâtiments, des cases
traditionnelles surélevées pour éviter les inondations
de l’hivernage et qui ont été construites par les parents
d’élèves.
Derrière ce directeur d’école se détache en filigrane
une vraie société avec ses liens, son histoire, ses traditions,
son travail, son désir de progrès et d’émancipation
mais aussi sa pauvreté, son manque de moyens ; une société si
différente et pourtant si proche de la nôtre, une société qui
nous inspire curiosité et sympathie.
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