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Les missions médicales

Premier trimestre 2002

Les docteurs Vincent STOFFEL, Frédéric CHAGUE, Benoît BARTHELME, Alain LACHAMBRE et Sébastien KOLMER interviennent pour la première fois sur deux sites : à Illikimou en pays yoruba, à la frontière du Nigéria, et en pays fon, dans la vallée de l’Ouémé, toujours au Bénin. M. Laurent PERELLO remplit le rôle de logisticien.
Le président du PHANS devient ministre de la santé du royaume yoruba d’Illikimou.

 

Réunion à Illikimou (Bénin). Le fleuve Ouémé (Bénin).
Les rizières dans la vallée de l'Ouémé (Bénin).
La sécheresse du plateau à la frontière du Nigéria (Bénin).
Vincent est le 24ème ministre du royaume d’Illikimou (Bénin) : il est ministre «Taïéché», «celui qui sauve des vies».

 

Articles associés publiés dans les bulletins du PHANS

LE MOT DU PRESIDENT
Docteur Vincent STOFFEL
Bulletin 4

Tout d’abord, je tiens à te remercier pour le beau geste dont tu as fait bénéficier le PHANS à l’occasion de ton demi-siècle (1).
Hier, dans l’avion, j’ai beaucoup pensé à ce que tu m’as dit en me remettant les dons de ta famille et de tes amis : "C’est un début : la prochaine fois, je tiendrai avec vous là-bas !". Cette phrase me revenait comme un leitmotiv alors que nous survolions le Sahara. Le nez collé au hublot, les yeux éblouis par cette lumière intense rebondissant sur le sable du désert, je scrutais cette immensité tachetée par les ombres mouvantes des nuages en contrebas en songeant à ce "là-bas". Le PHANS, depuis plusieurs missions déjà, a joué le rôle de passeur d’aventures pour des femmes et des hommes qui ont découvert l’Afrique loin des complexes touristiques modernes : ce "là-bas" exige l’oubli momentané d’un certain matérialisme. Théodore Monod n’a-t-il pas écrit dans" Maxence au désert" : "L’Afrique ne veut point pour amants des délicats et des douillets : il y faut le mépris des biens terrestres et l’amour de la vie primitive et un grand dégoût de tout l’artificiel d’une civilisation trop compliquée …" ?
Jean-François, tu connais l’action de développement médical du PHANS en Afrique à travers nos conférences. Aujourd’hui, je souhaiterais te décrire non l’aventure médicale mais l’aventure humaine d’une mission en Afrique. Ne crains rien, cette description s’arrêtera à l’entrée de la sous-préfecture rurale où nous intervenons, sous-préfecture que tu découvriras un jour par toi-même. Un seul indice sur cette brousse africaine : ci-joint la photographie du roi d’Illikimou, roi Yoruba (mais Benoît et Frédéric t’apporteront plus loin des données ethnographiques sur les Yorubas). A moins de sept heures de Paris, l’avion atteint le tarmac de l’aéroport de Cotonou dans la nuit africaine (Michèle D. t’y emmènera…) à 19h45 (à cette latitude, le soleil, invariablement, se lève à 7h00 et se couche à19h00). A peine sur la passerelle, la matrice africaine engloutit les passagers dans les miasmes de sa terre humide et des fragrances inconnues, la moiteur des vapeurs océanes, la sac et du ressac de la barre s’épuisant sur une proche plage. Très vite, les formalités d’immigration sur le territoire : police, service sanitaire (fièvre jaune oblige) puis, moins vite : la douane où le fonctionnaire enfin, au vu de notre ordre de mission, appose des signes cabalistiques à la craie sur nos bagages et nous donne congé par un "Merci pour mes frères" en gratifiant notre attente par un large sourire. Croulant sous nos sacs, escortés par des porteurs trop diligents, nous sommes vomis par une marée humaine dans l’unique hall de l’aéroport et là, assommés de fatigue, nous cherchons dans la foule cosmopolite le visage ami. Après l’émotion non feinte des retrouvailles, notre ami nous emmène dans son véhicule et nous traversons, en empruntant une quasi-autoroute dès la sortie de l’aéroport, l’impressionnant Cotonou des ministères, des ambassades, des hôtels de luxe et de l’incontournable CNHU (Centre National Hospitalo-Universitaire) pour arriver au centre de la capitale économique du Bénin où les nombreux pères Noël en plastique et autres sapins artificiels) nous rappellent que Noël a été, ici aussi, chaleureusement fêté. Passés la cathédrale Notre-Dame et l’ancien pont (datant des colons), nous abordons le quartier est de Cotonou, lieu de notre résidence de transit. Cotonou s’étale le long du bord de mer, coincé entre l’immense lac Nokoué au nord et le golfe du Bénin au sud. Ce lac communique avec la mer par un bras d’eau, appelélagune de Cotonou, découpant Cotonou en une partie ouest et une partie est. Seuls deux ponts (d’une largeur de quelques dix mètres pour le plus grand) relient les deux Cotonou. Une agitation indescriptible règne de jour sur ces ponts, traits d’union d’une ville comptant 500 000 habitants. Cette zone est, ouverture vers la capitale Porto Novo, permet le lendemain de notre arrivée des flâneries à pied loin des encombrements de l’hypercentre. Par exemple, l’hôtel Aledjo (ou PLM) s’étend sur plusieurs hectares de jardins jaunis par le soleil. Cet hôtel, initialement construit pour y accueillir (jusqu’en 1989) les hauts dignitaires des pays grands-frères marxistes-léninistes, est actuellement presque à l’abandon, concurrencé par les chaînes internationales de la zone aéroportuaire. Il conserve le charme suranné et désuet de ce qui est passé de mode. Une palissade de otelets en béton armé, "gâtés" par les agressions conjuguées du temps et des intempéries, permet, à partir de la plage, d’accéder au parc de l’hôtel où un propice bar invite à la dégustation d’une Béninoise frappée (2), le regard perdu dans l’océan à portée de main. Quelque temps plus tard, sur cette même plage, un Chrétien Céleste (3) en transes, tout de blanc vêtu, les reins ceints par une étoffe rouge, prie les bras levés vers le ciel. Les promeneurs africains le croisent, indifférents à ses invocations. Une longue virée à l’arrière d’un zem (4) nous mène de la plage vers le Stade de l’Amitié (construit par les Chinois). Après avoir raversé le nouveau pont, le Dantokpa (5) attire notre curiosité. Sur plusieurs étages, des volumes impressionnants de marchandises changent de mains en quelques minutes. Les mamies Benz (6) , venues du Togo voisin, ont la main mise sur une partie des transactions, en particulier le négoce de tissu. Une masse monétaire conséquente circule dans cet édifice et l’on s’y appauvrit aussi vite que l’on s’y enrichit : un médecin veille, les jours de marché, dans son cabinet situédans une aile peu commerçante d’un étage du Dantokpa. Plus loin, le marché de l’artisanat, destiné aux rares touristes, contraste avec la cohue du Dantokpa. La place de l’Etoile Rouge, avec son étoile rouge gigantesque et pérenne, est un clin d’œil au monde communiste d’avant la chute du mur. Mon chauffeur slalome entre les véhicules débouchant de partout à la fois et me mène à cette immense, étonnante et anachronique pagode chinoise située en plein continent africain : le Stade de l’Amitié. Mais déjà, il faut rentrer car dans une demi-heure la nuit va tomber et Cotonou deviendra un immense marchéde Noël éclairé par les lampes à pétrole des échoppes de tous les commerçants ambulants. Dans un crissement de pneu, le zem s’arrêteàquelques décimètres d’un policier en armes (AK 477 (7) en bandoulière) faisant passer quelques écoliers retardataires vêtus d’uniformes… kaki. Double clin d’œil à l’ex-bloc soviétique… Me voici à bon port… et sans encombres. Quelques prétentions à la hausse de la part du propriétaire du zem qui espère un supplément pour les nombreuses et habituelles raisons invoquées : attente imprévue devant le marché de l’artisanat, longueur de la course, immobilisation du zem par un seul client… Tièdes négociations de ma part pour une double raison : je suis sorti indemne de ce périple de motocross (ainsi j’ai beaucoup de respect pour mon ange gardien de chauffeur qui avait ma vie, en plus du guidon, entre ses mains toute une après-midi) et il faut se coucher tôt car demain, après le Ministère de la Santé Publique, on met le cap sur la brousse et la mission commence. Jean-François, reçois ici toute mon amitié et n’oublie surtout pas d’embrasser ta charmante épouse et tes enfants. Je te demanderai également de souhaiter une bonne année à tous les sympathisants du PHANS et de les remercier pour leur générosité bien utile à notre action en Afrique.

" Je vois l’Afrique multiple et une,
verticale dans la tumultueuse péripétie
avec ses bourrelets, ses nodules,
un peu à part, mais à portée du siècle,
comme un cœur de réserve. "
Aimé Césaire

(1) Jean-François, un ami médecin, a invité
lors de ses 50 ans sa famille et ses amis à
un somptueux dîner. A cette occasion, il
leur a demandé de faire un don au PHANS
plutôt que de lui offrir un cadeau.

(2) Il s’agit d’une bière appelée
" Béninoise", distribuée par la
SOBEBRA (SOciété BEninoise de
BRAsserie), bue glacée donc frappée.

(3) Christianisme Céleste : courant
religieux très répandu au Bénin

(4) Moto-taxi du cru

(5) Marché national construit en dur

(6) Plantureuses et riches commerçantes
togolaises se déplaçant en
Mercedes-Benz

(7) Fusil d’assaut Kalachnikov ayant
équipé les armées de l’ex-pacte de
Varsovie

LE MOT DU MINISTRE
Dr Vincent STOFFEL
Bulletin 5


Notre association, le Projet Humanitaire Afrique Nord Sud (P.H.A.N.S.), entrera début 2003 dans sa quatrième année d’existence officielle.
Tel l’enfant en développement, elle explore avec ingénuité et appétit son environnement : en l’occurrence l’Afrique et, en particulier, le
Bénin. Ainsi notre dernière mission de développement médical a vu le P.H.A.N.S. s’investir au premier trimestre 2002 dans deux
centres de santé béninois :à Assrossa (cf sur la carte) en pays fon dans le département de l’Ouémé et à Illikimou (cf sur la carte) en pays yoruba dans le
département du Plateau. Ces interventions ont pu être réalisées grâce au partenariat avec l’Association pour le Développement de la Mutualité Agricole au Bénin (A.D.M.A.B.) et grâce à l’amitié d’une de ses infatigables chevilles ouvrières, M. Joseph Loko. En effet, le centre d’Assrossa fonctionne depuis plusieurs années grâce à une mutualisation du risque sanitaire alors qu’Illikimou est en passe d’adhérer à cette stratégie développée par l’ADMAB.
M. Laurent Perello, notre logisticien et agent de communication, et le Dr Sébastien Kolmer ont pu découvrir l’Afrique rurale et traditionnelle au travers de ces deux sites alors que les "anciens", familiers de la vallée de l’Ouémé, ont été confrontés pour la première fois avec la pensée yoruba de l’ethnie Nagô. Les Nagô-Yoruba sont le peuple vivant sur la rive droite du fleuve Niger, installésà cheval sur le Bénin et le Nigéria. Francophone au Bénin, anglophone au Nigéria, l’ethnie Nagô commerce et communique de part et d’autre de la frontière en utilisant la langue vernaculaire yoruba. Mais un petit rappel historique s’impose pour démêler cette complexité culturelle.
Le sud du Bénin actuel a été le théâtre de migrations successives venant de l’est et de l’ouest :
-depuis le XIIème siècle, les Nagô-Yoruba, venant de la ville d’Ifé (près de l’actuelle Lagos), ont infiltré l’actuel Bénin et y ont créé des royaumes
-alors que les Adja, venant de la ville de Tado (située dans l’actuel Togo), ont émigré vers l’est. La rencontre de ces deux flux migratoires est sans doute à l’origine des Fon encore appelés Adja-Fon. De manière plus schématique encore, les Adja-Fon sont culturellement apparentés aux Nagô-Yoruba et représentent une transition entre le peuple Akanà l’ouest du Golfe de Guinée (Côte d’Ivoire et Ghana) et le peuple Nagô-Yoruba évoluant dans la partie occidentale du Nigéria et la bordure orientale du Bénin. De plus, du fait du syncrétisme christianisme-animisme ou vodùn, réaction induite par la déportation des Africains vers le Nouveau Monde à partir du XVIème siècle, les sons des tambours Nagô-Yoruba retentissent du Golfe de Guinée jusqu’aux Antilles et au Brésil. Mais revenons aux Nagô-Yoruba d’Illikimou. Illikimou est l’un des nombreux royaumes de la confédération de royaumes Nagô-Yoruba, satellites de la ville d’Ifé, lieu d’origine du héros fondateur. Bien que situé au Bénin, Illikimou vit paisiblement à l’heure nigériane. La bière Krystal se substitue à la Béninoise et le naira (devise nigériane) est la monnaie d’échange au détriment du franc CFA. Les échanges commerciaux sont intenses de part et d’autre de la frontière … jusqu’à la contrebande de produits pétroliers et de cigarettes. Jacob III règne depuis quelques années sur Illikimou. A cet effet, il a dû abandonner son ancienne fonction de commerçant pour se consacrer pleinement à la destinée de son peuple. Un rituel assez complexe rythme la vie et les sorties du roi. Il représente l’autorité traditionnelle et dispose de plusieurs ministres pour mener à bien les affaires de son peuple. Après que le P.H.A.N.S. fut intervenu à Illikimou fin 2001 puis début 2002, Jacob III a voulu remercier et sceller des liens avec notre association de développement médical en me nommant ministre" Taïéché" i.e. "Celui qui sauve des vies". Cette nomination est un symbole pour saluer le travail sur le terrain de Mme Kervadec et de M. Perello ainsi que des docteurs Barthelmé, Chagué, Jacquenet, Kolmer et Lachambre sans oublier le travail en France de Mmes Denissot et Verger et, surtout, de mon regretté ami M. Jean-Marc Denissot. Qu’ils soient remerciés ici.