14 Ulcères de Buruli observés en cinq semaines dans une sous-préfecture rurale du Bénin

Docteurs B. Barthelmé, V. Stoffel,
F. Chagué, F. Jacquenet,
A. Lachambre

L'expérience d'une ONG médicale

Un groupe de médecins de l'Est de la France soutient depuis 1999 un dispensaire de brousse au Bénin en bordure du fleuve Ouémé tenu par un aide-soignant béninois, en partenariat avec une association locale béninoise de développement. Lors de la première mission en décembre 1998 et janvier 1999, le groupe a observé et diagnostiqué 4 ulcères de Buruli (UB) sur 460 consultations [1]. Au cours de la deuxième mission, en janvier 2000, il a pu mieux évaluer l'importance de l'endémie : 9 UB pour 509 consultations. Durant la troisième mission, en novembre et décembre 2000, le groupe a tenté d'appliquer les recommandations de l'OMS sur l'UB :

1°) Relevé des cas observés selon la fiche type de l'OMS.
2°) Traitement chirurgical par résection puis suture ou greffe (de Davis) selon le manuel de l'OMS [2].

Voici la synthèse des 14 cas observés au cours des 5 semaines de mission :

- Sur 310 consultants de première intention, on relève 14 cas d'UB (prévalence: 4.5%) dont 11 nouveaux cas et 3 cas récurrents. Le nombre relativement faible de cas ne permet pas d'établir de corrélations écologiques entre le risque d'UB et la proximité de zones humides ou l'utilisation d'eau stagnante ou de source comme eau de boisson.
- Les patients sont particulièrement jeunes : 11 patients sur 14 (79%) ont moins de 15 ans.
- La médecine traditionnelle est une réalité incontournable [3] : 10 patients sur 14 y ont eu recours avant de consulter au dispensaire.
- La notion de protection par le BCG n'apparaît pas clairement : 8 des 14 consultants pour UB ont été vaccinés par le BCG.
- Les membres supérieurs paraissent les plus menacés : 7 des 16 lésions observées contre 5 aux membres inférieurs.
- Les formes ulcérées sont prédominantes (près de 3 lésions sur 4),.ce qui témoigne d'un diagnostic et d'une prise en charge tardifs.
- 2 patients ont été adressés dans un centre chirurgical en raison de l'importance des lésions, 4 ont bénéficié d'une prise en charge chirurgicale (excision-fermeture) au dispensaire même, 5 ont été traités par pansements simples.


L'UB est une maladie cutanée tropicale causée par une mycobactérie environnementale (Mycobacterium ulcerans) [4] qui évolue en 3 stades : pré-ulcératif (nodule, plaque ou œdème), ulcératif puis inactif (avec guérison ou séquelles). Le bacille sécrète une exotoxine lysant spécifiquement le tissu graisseux sous-cutané. Les surinfections par bactéries pyogènes rendent l'UB douloureux alors que les UB non surinfectés sont parfaitement indolents. A ce jour les traitements antibacillaires n'ont pas d'efficacité démontrée et seule la résection, complétée éventuellement de plasties ou de greffes, est validée. Les antibiotiques sont précieux dans les surinfections à pyogènes. L'UB peut également évoluer favorablement spontanément.
L'indolence de la maladie retarde la consultation et le traitement d'autant plus qu'elle sévit dans une population pauvre. L'UB peut entraîner pourtant à long terme d'importantes séquelles fonctionnelles et ses conséquences sociales et économiques (arrêt de la scolarité des enfants, arrêt de l'activité professionnelle des adultes et coût de l'hospitalisation) sont redoutables pour une société rurale pauvre.
La maladie reste à ce jour sous-diagnostiquée, insuffisamment et trop tardivement traitée.


Cette expérience confirme qu'il est possible de traiter chirurgicalement l'UB au stade non compliqué au niveau du dispensaire de brousse selon les préconisations de l'OMS, même avec des moyens limités.
L'objectif à venir est le dépistage des formes précoces (pré-ulcératives) dans la population générale par le canal des écoles en utilisant les écoliers comme vecteur de l'information selon le protocole IEC (Information, Education, Communication) et la poursuite de la prise en charge chirurgicale de la maladie dans l'attente de la validation des traitements médicaux qui sont actuellement expérimentés.

[1] Stoffel V, Chagué F. Etude transversale de prévalence des pathologies chez les consultants du district rural de Bonou, département de l'Ouémé, Bénin. Santé Publique 2001 : sous presse
[2] Asiedu K, Scherpbier R, Raviglione M. Ulcère de Buruli : infection à Mycobacterium ulcerans. Genève, Organisation Mondiale de la Santé, 2000.
[3] Guédénon A et al. Traditional treatment of Buruli ulcer in Benin. Archives of dermatology, 1995, 131 : 741-2.
[4] Aguiar J et al. L'ulcère de Buruli, une maladie mycobactérienne importante et en recrudescence au Bénin. Arsom bulletin, 1997, 43 : 325-58.